mardi 16 août 2011

1970, les mémoires se réveillent (les mémoires de la guerre 3)


Après 1968, dans un contexte de remise en cause des principes sacrés et « établis », de la France « à papa », de la France Gaulliste, le résistancialisme est abandonnée.  L’image d’une France unanimement et précocement résistante est mise à mal.
Le « chagrin et la pitié », film de Marcel Ophuls sorti en 1971, qui a pour sous-titre « Portrait d’une ville (Clermont-Ferrand) sous l’occupation »  renvoie une image d’une France majoritairement lâche et égoïste, se souciant d’abord de manger et de survivre, relativement indifférente à la Résistance qui ne constitue en fait qu’un phénomène très minoritaire, alors que l’antisémitisme français semble bien enraciné et répandu… La télévision qui l’a financé, refuse de le programmer pendant 12 ans. Diffusé en 81, il attire 15 millions de téléspectateurs !
                              
Le livre de l’historien américain Robert Paxton «  La France de Vichy » est publié en 1971. L’ouvrage s’appuie sur les sources écrites de Vichy, des entretiens avec les membres du régime, et surtout des archives allemandes.  Il s’avère clairement que l’idée du double jeu de Pétain n’est un mythe que l’auteur démonte rigoureusement. La Révolution nationale et la collaboration ont été des initiatives strictement françaises et les décisions prises par Vichy l’ont été de manière complètement autonome sans pression de l’occupant allemand. Le statut des Juifs de Vichy est par exemple beaucoup plus sévère que les lois allemandes de Nuremberg. Le régime a collaboré activement à la politique génocidaire des nazis : dans l’organisation des rafles, c’est la police française qui arrête les Juifs et assure la garde des camps d’internement où ils sont rassemblés avant déportation (Pithiviers, Beaune la Rolande, Drancy) ; c’est la SNCF qui transporte les déportés.  Vichy va même au-delà des exigences allemandes, par exemple à propos des enfants juifs ; lors des rafles de 42, les Allemands n’avaient pas prévu de déporter les enfants : c’est Laval qui propose de le faire : c’est bel et bien une initiative française.

Le procès Eichman en 1961 permet l’émergence d’une mémoire juive. C’est l’organisateur de la solution finale, réfugié en Amérique latine, enlevé par les services secrets israéliens en Argentine et ramené en Israël.  En 1967, la guerre israélo-arabe des 6 jours constitue un moment d’angoisse pour la population juive, une angoisse ressentie par les Juifs français, avec l’inquiétude d’un retour éventuel des horreurs de la 2ème guerre mondiale.  Sur le plan intellectuel, il s’agit de combattre le négationnisme. En effet  des intellectuels comme Faurisson, Rassinier, nient l’existence des chambres à gaz et des fours crématoires. La vérité doit être rétablie. Les Juifs revendiquent la singularité absolue de la Shoah, et c’est en France une rupture avec le silence entretenu jusqu’alors sur l’antisémitisme de Vichy. Le  FFDJF est créé en 1979 (Fils et Filles de Déportés Juifs en France) par Serge et Beate Klarsfeld. Son but est de mettre fin à l’impunité dont jouissent les responsables français et allemands du génocide par un activisme vigoureux, la traque des nazis dans le monde entier (Klaus Barbie en Bolivie) ou le dépôt de plaines pour crimes contre l’humanité (crimes imprescriptibles depuis1964).

Au cinéma « Shoah » de C. Lanzmann, est une oeuvre radicalement nouvelle pour illustrer cette mémoire.  Le film de Lanzmann est précédé en 85 d’une série télévisée à succès, « Holocaust », qui souligne déjà la complicité de Vichy dans le génocide des Juifs.
                           
Le film est construit sans aucune image d’archives, uniquement avec des allersretours constants entre les lieux où vivent les témoins et les lieux de l’extermination. C’est un film ancré dans le réel, qui naît de la confrontation entre la mémoire des hommes et ce qui reste matériellement du passé : les traces.  C’est un film d’interviews : Mémoire des victimes avec des interviews des survivants :  chappés d’Auschwitz, sonderkommandos, survivants d’autres centres d’extermination, sans véritable camp (Chelmno : camions à gaz) : il s’agit de les faire témoigner avant qu’ils ne disparaissent. Mais c’est aussi la mémoire de bourreaux avec les interviews d’anciens SS responsables de camps. C’est un film qui ne pose pas la question du pourquoi mais celle du comment. Il a été tourné en Pologne, en Lituanie, en Israël, aux EUA, en Allemagne,entre 1976 et 1985. 
L’action inlassable des associations finit par porter ses fruits. Les pouvoirs publics finissent par se saisir d’un problème si longtemps occulté. Différents procès viennent sensibiliser l’opinion au rôle de Vichy (procès Barbie en 1987, procès Bousquet en 1991, Procès Touvier en 1994 ou Papon en 1998).

L’aboutissement de ce long et pénible travail de mémoire est l’émergence d’une mémoire juive de la Shoah qui fait avancer les autres mémoires. La mémoire collective française de la 2ème GM est bouleversée et intègre aujourd’hui la mémoire de la Shoah comme partie intégrante de cette mémoire française.

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