jeudi 6 octobre 2011

Culture et science à la Belle Epoque


Dans l’imaginaire français, la Belle-Époque reste le temps de l'avènement à l'idéal des lumières (libéralisme et révolution de 1789) et d'un foisonnement de réalisations artistiques, d'inventions. La croyance en un progrès de l’humanité, anime une bonne partie des élites françaises, notamment dans les sciences (positivisme). Construite pour l'Exposition universelle de 1889, la Tour Eiffel, symbole de Paris, fait de la capitale française la vitrine du monde et du progrès. Certains penseurs, avant ou après le carnage de la « Grande Guerre », avaient cependant fait preuve de réserves ou d'ironie à l’encontre de l'idée d'un Progrès inéluctable (Bernanos).

Les savants français ont toujours une place de choix dans la recherche scientifique européenne mais, contrairement aux périodes précédentes, ils ne travaillent plus dans l’isolement; la publication systématique de leurs travaux les met en relation rapide avec leurs confrères étrangers, ce qui fait progresser plus rapidement les programmes entamés par chacun. Les congrès scientifiques leur permettent d’échanger leurs idées et les expositions universelles les font connaître du grand public et des industriels. Désormais, leur prestige est très grand et leur statut social se modifie; ils deviennent les nouvelles figures qui bénéficient de la reconnaissance et du respect des autorités. Ils sont honorés par leurs compatriotes et respectés sur le plan international. Les ingénieurs qui les relaient dans les entreprises acquièrent une stature nouvelle; ils ne sont plus de simples «fonctionnaires» mais des innovateurs qui introduisent des techniques révolutionnaires pour la rentabilité ou la sécurité. Les découvertes les plus importantes ont été d’abord appliquées à la vie quotidienne. C’est le cas de la maîtrise de l’électricité quand Marcel Deprez et Aristide Bergès mettent au point un système pour transporter le courant. L’éclairage domestique en bénéficie et cette nouvelle forme d’énergie révolutionne les techniques industrielles. L’électrométallurgie se développe et l’électrolyse transforme le travail de l’aluminium en abaissant le prix de revient de ce métal. Dans la foulée, des ingénieurs inventent la radio; la T.S.F. (Téléphonie Sans Fil) d’après les travaux d' Édouard Branly et le cinéma dont la base de fonctionnement est la maîtrise du courant (techniques des frères Lumière en 1895). Pour l’automobile, les ingénieurs déploient une énergie et une inventivité efficaces qui en font les inventeurs du pneu démontable (Michelin en 1895) ou les acteurs d’améliorations notables pour le moteur à explosion comme Panhard et Levassor. Les frères Renault sont en France les pionniers de la fabrication industrielle de l’automobile. Ils contribuent à faire du pays l’un des mieux équipés, à savoir 100 000 voitures en 1914. Certaines découvertes ont été déterminantes pour les années futures : les expériences de Clément Ader en 1903-1906 permettent aux aviateurs Louis Blériot en 1909 de réussir la première traversée de la Manche et à Roland Garros la traversée de la Méditerranée en 1913. Pour la médecine, les travaux des physiciens et des chimistes ont été des étapes primordiales : Pierre et Marie Curie isolent le radium en 1898 en travaillant à partir des travaux de Becquerel qui a mis en évidence la radioactivité de l’uranium en 1896. Ils partagent d'ailleurs avec ce dernier le Prix Nobel de physique 1903, pour la découverte de la radioactivité. Marie Curie obtiendra quant à elle un deuxième Prix Nobel en 1911 et reste comme la plus grande savante française de son époque avec Louis Pasteur. Ils font ainsi progresser les possibilités d’utilisation des rayons X découverts en 1895 par l’allemand Wilhelm Röntgen appliquées à la radiographie dont l’usage se généralise pour le dépistage de la tuberculose.

Une succession d'inventions va modifier profondément le mode de vie. La photographie va engendrer le cinéma, le vélocipède se mue en bicyclette, la réalisation de moteurs plus petits et légers permet la mise au point des motocyclettes, des automobiles, des avions. Des progrès immenses sont aussi accomplis dans la chimie (Pierre et Marie Curie), l'électronique et la sidérurgie. Le développement de la médecine et de l'hygiène permet de faire baisser la mortalité des nourrissons et d'augmenter l'espérance de vie. La France s'équipe de plus en plus de l'électricité. En 1895, la projection du premier film de l'histoire à Paris marque le succès qu'attend la cinématographie. Les hommes de l'époque voient un espoir sur le développement dans la technologie ; pour eux, elle est capable de tout, même de l'impossible un siècle auparavant.

Le terme « intellectuel » peu utilisé avant 1898 apparaît dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Il devient alors un substantif qui désigne aussi bien les hommes de science que les écrivains et certains artistes des « hommes de pur labeur intellectuel ». Les romans suivent des tendances variées, le naturalisme de Zola voisine avec l’exotisme de Pierre Loti et des romans plus personnels comme ceux d’André Gide ou de Marcel Proust. La culture française exerce en tout cas un rayonnement singulier et d'avant-garde à l'échelle mondiale. Plusieurs mouvements d'avant-garde se distinguent. Dans les arts, on peut citer l'impressionnisme, ouvrant voie au fauvisme, cubisme, expressionnisme et à l'art nouveau (Alfons Mucha, Hector Guimard, Eugène Grasset, Louis Majorelle). De grands marchands et galeriste tel Ambroise Vollard ou des collectionneurs tels que Gustave Fayet sont alors les fervents révélateurs de ces avant-garde. Fayet rassemble près de 70 œuvres de Gauguin et les prêtera pour les premières rétrospectives à Weimar d'abord, puis à Paris au Salon d'automne en 1906. On retrouve une activité littéraire intense et excentrique : Baudelaire, chantre de la modernité parisienne, Léon Bloy, Pierre Louÿs, Octave Mirbeau, qui en ont fait une époque d'excès et de fantaisie. Victor Hugo et Émile Zola, à la fois intellectuels et écrivains, qui croyaient au progrès social et militaient pour une société plus harmonieuse, et qui n’auront de cesse de dénoncer les conditions de vie déplorables de la classe ouvrière, marquent le siècle, de même que Voltaire a marqué le XVIIIe siècle. Le théâtre et la poésie explorent aussi des voies nouvelles, à caractère dénonciateur; c’est ce que veut atteindre Alfred Jarry avec Ubu Roi où il tourne en dérision les dictatures. La France connaît également une période riche de divertissement et de loisirs. Les Français s'amusent ou se réjouissent dans des activités principalement ludiques, hors des contraintes de la vie sociale et du travail, avec La De Dion-Bouton, la "fée électricité", le premier tour de France, ... Les frères Lumière, considérés comme inventeurs du cinématographe, ce qui en ferait une invention française, présentent leurs films sur des écrans géants. Les cabarets du quartier Pigalle comme le Chat noir (fréquenté entre autres par Verlaine et Satie) ou Le Divan japonais, la Nouvelle Athènes "encanaillent" leurs publics. Au Moulin Rouge qui a ouvert depuis 1889, Mistinguett lance en 1907 la "valse chaloupée". Dans la plupart de ces lieux il n'y a pas de scène jusqu'en 1918. Les Jeux Olympiques, IIe de l'ère moderne après ceux d'Athènes, se déroulent dans le bois de Vincennes. Paris apparaît comme la capitale mondiale du divertissement, de la mode et du luxe. En 1900 avec l'Exposition Universelle, la Ville Lumière est au faîte de son rayonnement.

Les impressionnistes avaient ouvert la voie en 1874 en étudiant la variation des couleurs en fonction de la lumière. Auguste Renoir et Claude Monet continuent à travailler de cette façon à la Belle Époque. Mais d’autres peintres ouvrent de nouvelles voies de recherche. C’est le cas de Gauguin qui juxtapose des aplats de couleurs vives et simplifie à l’extrême le tracé pour faire ressortir l’authenticité des scènes. Cézanne et Van Gogh accentuent ces tendances en recourant à des couleurs très heurtées et à un dessin qui fait de Cézanne le précurseur des cubistes. Les formes sont traitées par les cubistes de façon révolutionnaire; la vision du réel est éclatée, décomposée, pour être restructurée selon des conceptions intellectuelles où les formes qui s’imposent sont le cube, la sphère et le cylindre. Pablo Picasso et Georges Braque ou Juan Gris sont les maîtres de la tendance. Les Demoiselles d'Avignon achevées par Picasso en 1907 sont considérées comme le premier manifeste cubiste. La construction du tableau est rigoureuse, les tracés géométriques articulent la composition, les emprunts du peintre aux civilisations africaines donnent à l'œuvre un caractère étrange qui a été très contesté au moment de l’exposition. Ce sont les Russes qui ont exploré toutes les possibilités de rejet de la réalité. Malévitch utilise la couleur comme unique support de sa pensée et fonde le suprématisme. Kandinsky en 1910 fait disparaître toute représentation figurative, donnant à la forme et à la couleur le sens « d’une représentation graphique d’un état d’âme »; il fonde ainsi l’art abstrait.

Parce que l’Art nouveau utilise des matériaux de l’industrie comme le fer ou le verre qui sont faciles à travailler et offrent beaucoup de possibilités, il est très significatif de la Belle Époque. Les Arts décoratifs adoptent les motifs végétaux pour créer des objets utilitaires (mobilier, vaisselle) traités comme des œuvres d’art. Les bouches de métro imaginées par Hector Guimard rappellent la végétation et les vases d'Émile Gallé (« École de Nancy ») sont déjà des fleurs. Quant aux bijoux de René Lalique, ils mêlent métaux précieux et corolles de fleurs.

La vie musicale est marquée par Fauré, Saint-Saëns, Debussy et Ravel mais aussi par les Espagnols à Paris (Albeniz, Granados, de Falla...). Le pianiste espagnol Vines sera d'ailleurs aussi bien le créateur des œuvres pianistiques majeures des premiers que des seconds, qu'il fera connaître dans toute l'Europe et l'Amérique latine. À partir de 1909 les Ballets Russes éblouissent la scène parisienne par la nouveauté chorégraphique et musicale (par exemple Stravinski et son Sacre du printemps en 1913 au Théâtre des Champs-Élysées). Les grands salons parisiens sont les mécènes de cette intense vie artistique ; ceux de la comtesse Greffuhle (Elisabeth de Riquet de Caraman), de la princesse de Polignac (Winnaretta Singer), de la princesse de Cystria ou encore de Misia ou de Marguerite de Saint-Marceaux. Les premiers festivals de musique se développent dans le sud de la France comme au théâtre antique d'Orange et aux Arènes de Béziers où l'on monte de grandioses spectacles (Dejanire de Saint-Saëns, Héliogabale de Séverac...). En outre, c’est à Paris que les compositeurs (français ou étrangers installés à Paris) ont présenté leurs œuvres; productions musicales jugées scandaleuses tant elles rompent avec la tradition. Ainsi, Claude Debussy par exemple doit affronter les critiques les plus acerbes pour « Pelléas et Mélisande » et son « Martyre de Saint Sébastien » n’est pas mieux accueilli. Mais c’est Igor Stravinsky qui déroute le plus avec « L'Oiseau de feu » et « Petrouchka » ou le « Sacre du Printemps » en 1913. Les ballets russes de Diaghilev provoquent les mêmes réactions horrifiées lors de la première de «l’Après-midi d’un faune» ou l’art du chorégraphe est dynamisé par le talent de Nijinski.

Un artiste comme le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917) symbolise à lui seul le prestige des arts français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Ses premières œuvres sont assez classiques dans leur facture mais ses sculptures deviennent de plus en plus expressives, des « Bourgeois de Calais » au « Penseur ». Les sentiments sont de plus en plus visibles pour devenir ce que Rodin souhaitait obtenir avec son Balzac. « La ressemblance… est celle de l’âme » écrit-il peu après avoir terminé son œuvre qui est refusée par les commanditaires de la Société des gens de lettres. Une "communauté féconde d'artistes, tous arts confondus, qui résident à Paris ou alentours, en synergie et aussi en compétition, a érigé l'innovation permanente en principe moteur seul capable d'apporter une distinction et une valeur ajoutée au travail artistique. La concentration des artistes et des créateurs, des industriels de la culture (cinéma, disque, presse, livre), des marchands et galeristes comme des entrepreneurs, des mécènes, collectionneurs et faiseurs de mode (...) les met tous dans une fructueuse proximité et facilite le rapport entre l'offre et la demande." C'est donc une centralisation de la vie artistique, littéraire et culturelle qui caractérise cet extraordinaire foisonnement de la Belle Époque en France.





« Le XIXe siècle a été le grand siècle du progrès. Pour fêter les prodiges des arts, des sciences, de l'industrie et de l'agriculture, la France invita toutes les nations à participer à l'Exposition universelle qu'elle organisait à Paris. Toutes répondirent à cette invitation ; elles tenaient à comparer les progrès de leur industrie avec ceux des autres nations. L'Exposition de 1900 fut une merveille. Le Champ-de-Mars avait son château d'eau et ses fontaines lumineuses qui, le soir, transformaient cette partie de l'Exposition en une véritable féerie, les quais de la rive gauche de la Seine étaient occupés par les palais des nations, chacun dans son architecture nationale. »

— Jeanne Bouvier (1865-1964), Mes mémoires, éditions Marcineau, Poitiers, 1936

Les expositions universelles de 1889 (présentation de la tour Eiffel) et de 1900 (électricité : Paris, ville lumière !) sont les symboles de la Belle Époque.

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