dimanche 9 octobre 2011

Mutation de la société française depuis 1850 (suite)


II. L'immigration et la société française au XXe siècle
Le XXe siècle a été un siècle de migrations: en 1900, 8% de la population mondiale vivait déjà dans un pays autre que celui de sa naissance (4% de nos jours). Durant ce siècle de migrations, la France occupe une place à part.
A.      Un pays d'immigration ancienne
La répartition de la population active selon les secteurs économiques de 1878 à nos jours

        1878      1911      1931      1954      1960      1975      1980      2006      2009

Secteur primaire (en %)      
          49           41           36           26,8       20           16,1       9             4             2,9

Secteur secondaire (en %) 
          28           32           37,5       35,3       39           39,2       33           24,6       22,1

Secteur tertiaire (en %)    
           23           26           26,5       37,9       41           44,7       58           71           75

Source: INSEE

 

L’histoire de l’immigration venue d’Afrique du Nord présente à la fois des traits communs aux migrations algérienne, marocaine et tunisienne, que ce soit dans les rythmes et les causes de l’émigration/immigration où celle de leur installation en France, et des caractéristiques qui permettent de les distinguer d’autres origines migratoires, notamment le lien avec la situation coloniale et post-coloniale.  Contrairement à une idée reçue, l’histoire des migrations du Maghreb vers la France ne commence pas avec la deuxième moitié du vingtième siècle. Elle s’inscrit dans un temps bien plus long, même si la période des Trente Glorieuses et le moment des décolonisations connaissent l’accélération de ce courant migratoire.  Jusqu’aux années 1930, l’Afrique du Nord fut une terre d’immigration (ainsi que de migrations interrégionales) plus que d’émigration. On sait combien l’Algérie coloniale, notamment, attira des centaines de milliers d’Européens, qui allaient former la composante « pied-noir » de la population. Mais l’aggravation de la paupérisation des populations autochtones et rurales, couplée à l’augmentation de la population, provoquent, dès la fin du XIXe siècle, un double mouvement d’exode rural et d’émigration en dehors des frontières, dans un contexte colonial puisque l’Algérie est colonie française depuis 1830 (devenue département dès 1848), la Tunisie et le Maroc des protectorats depuis respectivement 1881 et 1912. A part quelques personnalités politiques ou culturelles (par exemple Abd-el-Kader), les premiers travailleurs migrants d’origine nord-africaine en France sont, à la veille de la Première guerre mondiale, quelques milliers d’Algériens, qui travaillent notamment dans les usines de Marseille. 
C’est la Première guerre mondiale qui amorce véritablement le mouvement migratoire vers la France. Près de 500 000 soldats et travailleurs d’Algérie, du Maroc et de Tunisie sont recrutés par le Service de l’Organisation des Travailleurs Coloniaux, créé en 1916 au sein du Ministère de la Guerre. Les pouvoirs publics français renvoient en 1918 travailleurs et soldats dans leurs colonies d’origine, mais certains réussissent à rester en France. Dès 1921, plus de 35 000 sujets algériens sont recensés en France, leur nombre atteint plus de 85 000 en 36, avant de redescendre à 72 000 à la veille de la seconde guerre mondiale, et seulement 22 000 en 1946. L’immigration marocaine suit le même mouvement d’ensemble, mais à une échelle bien moindre, puisqu’elle culmine à 21 000 dans les années 1920. Ce mouvement migratoire de l’entre-deux-guerres s’inscrit dans une période de très forte immigration, puisque la France est, dans les années 20, le premier pays d’immigration du monde, devant les Etats-Unis. Les immigrants viennent alors majoritairement d’Europe, surtout d’Italie ou de Pologne. Au sens strict, les « sujets » et « protégés » algériens ou marocains ne sont pas des « immigrés », puisqu’il ne sont pas des étrangers (ils ont la nationalité française, mais pas la citoyenneté) ; cependant, loin de leur faciliter leur installation en France, cela la complique plutôt, puisqu’une réglementation stricte soumet les sorties des ressortissants des territoires colonisés à autorisation. La libre circulation pour les sujets algériens est décidée par le Front Populaire en 36, mais suspendue dès 1937, et le principe n’en sera rétabli qu’en 1946. Une brigade de police nord-africaine est créée en métropole en 1925, pour surveiller spécifiquement les travailleurs coloniaux. Cette surveillance policière s’accompagne d’une volonté d’intervention sociale, manifestés notamment par la création de la Grande Mosquée de Paris en 1926 et de l’hôpital francomusulman de Bobigny. 
L’immigration maghrébine (essentiellement algérienne, on l’a vu), de l’entre-deux-guerres est surtout une immigration de travail, très majoritairement masculine, comprenant encore peu d’immigration familiale, et marquée par un fort taux de rotation des immigrants. A plusieurs reprises, les retours l’emportent sur les départ, notamment au moment de la crise de 1929. C’est aussi dans cette émigration que se forment la plupart des leaders nationalistes maghrébins (voir à ce sujet les travaux de B. Stora).  Les migrations du Maghreb vers la France reprennent à partir de 1946. En ce qui concerne les Algériens, elle est facilitée par la liberté de circulation, instituée à partir de 1946. Entre 1946 et 1954, le solde migratoire est proche de 185 000 personnes. Le nombre de migrants marocains et tunisiens est encore faible.  La guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), même si elle ralentit un peu les nouvelles entrées, ne marque aucun temps d’arrêt dans les migrations algériennes : le solde migratoire des « français musulmans d’Algérie » en France d’Europe reste de 91 000 entre 1954 et 1962. L’année 1962 et les suivantes sont aussi marquées l’exil définitif de plus d’un million de pieds-noirs et de dizaines de milliers de harkis (musulmans français d’Algérie supplétifs de l’armée française).
En 1962, 16% de la population étrangère en France est de nationalité algérienne, et l’immigration maghrébine étrangère dans son ensemble représente 1/5e de la population étrangère en France. Les départs d’Algérie plafonnent à partir de 1964, tandis qu’une forte migration marocaine commence à se dessiner. La population marocaine en France est multipliée par 2,5 entre 1962 et 1968, par 3 entre 1968 et 1975, pour atteindre 430 000 personnes en 1975 et 570 000 en 1990. L’immigration tunisienne, la plus récente et la plus limitée, se développe aussi dans les années 60. A la veille de l’indépendance tunisienne, en 1954, il n’y a que 5000 Tunisiens en France (1/4 des émigrés tunisiens de l’époque). Les années 50 à 70 voient une modification importante des migrations maghrébines : jusque-là migrations souvent temporaires, elles deviennent des migrations d’installation, beaucoup plus familiales qu’elles ne l’étaient jusque-là. Cet aspect s’est renforcé depuis 1974 et l’arrêt officiel de l’immigration de travail.
Source: Cité Nationale d'Histoire de l'Immigration, www.histoire-immigration.fr

B. L'immigration maghrébine du début du XXe siècle à nos jours
1. Une immigration ancienne
L'immigration maghrébine en France commence dès la fin du XIXe siècle (Ouvriers algériens à Marseille), mais elle connaît un premier essor avec la 1ère GM et dans les années 30 (Combattants et main d’œuvre mobilisée restant en métropole). C'est toutefois les besoins de main d’œuvre pendant les Trente Glorieuses qui vont stimuler une immigration importante : Plus d'1 million de travailleurs de l'industrie ou du BTP et de 880 000 Pieds Noirs réfugiés en France après l'indépendance algérienne.
A partir de 1974, l'immigration pour le travail cesse et est remplacée par le regroupement familial, signe de l'implantation durable des populations immigrées en France. Les communautés maghrébines représentent en 1990 plus d’1/4 des immigrés. Certaines familles sont installées depuis 2 ou 3 générations en France.
2. Une intégration inégale
L'intégration des immigrants maghrébins est cependant inégale. L'intégration peut se mesurer par l'accès à la nationalité française, la maîtrise de la langue, le respect des valeurs républicaines. Mais des critères socio-économiques doivent être pris en compte. On peut relever un certain nombre de réussites médiatisées (Rachida Dati, Zinedine Zidane, Jamel Debouzze...). Toutefois selon l'Observatoire des Inégalités, 22,6% des ménages originaires du Maghreb sont pauvres (contre 6,2% des ménages en moyenne en 2001) avec des difficultés d’accès à l’éducation, des discriminations pour l’accès à l’emploi ou au logement.
Les Français dont les parents ou grands-parents ont migré en France depuis le Maghreb connaissent les difficultés liées à leur niveau d’étude et leur niveau économique et social. Enfin, la France et les pays du Maghreb, en particulier l'Algérie, ont un lourd contentieux historique lié à la colonisation et surtout à la Guerre d'Algérie. Cette mémoire douloureuse entretient les réflexes identitaires et les discriminations.
Conclusion : L'immigration maghrébine doit donc être replacée dans le contexte plus vaste d'une immigration multiforme et très ancienne en France. Son étude permet d'illustrer le poids important de la main d’œuvre immigrée dans certains secteurs économiques (industrie et BTMP) mais également les difficultés d'intégration que rencontrent l'ensemble des communautés immigrées au cours de l'histoire (Rejet des migrants italiens fin XIXe ou des Polonais, Espagnols et Portugais dans les années 30 ou après 1945).

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