samedi 13 août 2011

L'Allemagne dans la guerre froide


Dès la conférence de Téhéran en 1943, le futur sort de l'Allemagne est étudié par les Alliés convaincus de remporter la guerre après l'arrêt de l'expansion allemande. Le pays, en effet situé au cœur de l'Europe, est envahi en 1945 par les deux superpuissances : Berlin et la partie orientale par l'Armée rouge et la partie occidentale par les Américains. Dans l'affrontement, appelé guerre froide, que vont se livrer les deux grandes puissances victorieuses, États-Unis et URSS, l'Allemagne et Berlin occupent une place particulière : elles sont coupées en deux dès 1945 et jusqu'en 1990 et les deux armées s'y font directement face. Le cas allemand fournit donc un cadre pertinent pour étudier l'opposition entre les deux superpuissances. Dans un premier temps, jusqu'en 1955, l'Allemagne vaincue subit la partition de son territoire entre les deux blocs hostiles en formation. Dans un deuxième temps, de 1955 jusqu'en 1969, les deux Allemagnes constituent des vitrines : chaque bloc tente d'y démontrer la supériorité de son modèle idéologique. Enfin, dans un dernier temps, les deux Allemagnes débutent un processus de rapprochement qui aboutit à leur réunification en 1990.

Lors de la conférence de Potsdam (juillet-août 1945), les Alliés décident du sort de l'Allemagne vaincue. Ils souhaitent empêcher l'Allemagne de nuire à nouveau en la démilitarisant et en la désindustrialisant. Il n'y a plus d'armée allemande, la défense est assurée par les Américains et les Soviétiques. L'Allemagne perd sa souveraineté, le pays est occupé par les quatre armées alliées (États-Unis, URSS, Royaume-Uni et France) qui l'administrent. Le territoire est partagé en quatre zones : les Soviétiques au nord-est, les Américains au sud, les Britanniques au nord-ouest et les Français dans la région rhénane frontalière. Berlin, située en zone sovié­tique, est néanmoins également partagée en quatre zones.
Le rideau de fer évoqué par Churchill dès 1946 passe ainsi au cœur de l'Allemagne et sépare la zone occupée par les Soviétiques des trois autres zones. La zone soviétique, aux ordres de Staline, rejette le plan Marshall (1947), plan américain d'aide à la relance économique de l'Europe. Les Américains et leurs alliés pensant que la pauvreté jette de nombreux pays dans les bras du communisme (doctrine Truman) souhaitent redonner à l'Allemagne sa puissance économique d'avant-guerre, contrairement à ce qui avait été décidé à Potsdam. Ils programment la fusion de leurs trois zones et la création du Deutsche Mark. En 1948, par mesure de rétorsion, Staline tente de s'emparer des trois zones de Berlin-Ouest, isolées en zone soviétique. Il organise un blocus destiné à empêcher son ravitaillement. C'est la première crise de Berlin.
Le Président américain Truman réplique par la mise en place d'un pont aérien : le ravitaillement est assuré par avions basés dans les zones occidentales de l'Allemagne.
 Le blocus échoue. Ainsi, en 1949, désormais ouvertement rivaux, les Etats-Unis et l'URSS décident la partition de l'Allemagne en deux Etats distincts : la RFA (République fédérale d'Allemagne) à l'ouest, correspondant aux zones alliées et à Berlin-Ouest, et la RDA (République démocratique allemande) à l'est correspondant à la zone soviétique. Bonn devient la capitale de la RFA et Berlin-Est celle de la RDA. Les Américains et leurs alliés, conscients que leur solidarité a permis l'échec du blocus, créent en 1949 une alliance militaire, l'OTAN. En 1955, la RFA entre dans l'OTAN alors que le bloc de l'Est forme à son tour une alliance militaire sous contrôle soviétique, le pacte de Varsovie, auquel adhère la RDA. Le 17 juin 1953, une révolte ouvrière éclate à Berlin-Est, elle est réprimée par Walter Ulbricht, dirigeant de la RDA, avec l'aide de l'armée soviétique.

Alors que la séparation entre les deux Allemagnes est réalisée s'ouvre l'ère de la coexistence pacifique prônée par Khrouchtchev. Les deux blocs, bien qu'hostiles, doivent selon lui coexister pour éviter un conflit ouvert. Qu'en est-il de l'Allemagne dans ce contexte ? Le système politique et économique mis en place en RFA en 1949 est calqué sur le modèle américain. C'est une démocratie fédérale, les Länder disposent d'une grande autonomie. Les élections sont libres, le chef du gouvernement est le chancelier. Il n'est pas directement élu par les citoyens mais issu du parti majoritaire aux élections législatives. Ce mode de dési­gnation est repris de l'Allemagne d'avant-guerre. La RFA reconnaît le capitalisme et l'économie de marché. À l'image des autres pays occidentaux, sa population accède à la société de consommation. La RFA participe aux prémices de la construction européenne avec la CECA et devient un des six membres fondateurs du Marché commun en 1957. Elle devient rapidement la première puissance économique de l'Europe. D'abord destinée à préserver la paix par une union économique très étroite, la construction européenne permet également à l'Europe occidentale et donc à la RFA de s'émanciper de la tutelle américaine. En Allemagne de l’Est, les institutions, l'organisation économique et sociale sont identiques au modèle soviétique. La RDA est une démocratie de façade : les communistes sont seuls au pouvoir dès 1949, le Parti est le seul autorisé et ses candidats recueillent près de 100% des suffrages. Les dirigeants, comme E. Honecker, font l'objet d'un culte de la personnalité. La répression orchestrée par la police politique, la STASI, s'abat sur les opposants. L'économie est entièrement sous contrôle et planifiée : les moyens de production sont nationalisés, particulièrement dans les secteurs des transports, des banques, de l'industrie, de l'énergie ; les terres sont collectivisées. Dans la division socialiste du travail mise en place par le COMECON, la RDA occupe une place de premier ordre : elle est spécialisée tout d'abord dans l'industrie lourde puis dans l'industrie de biens de consommation (succès de la marque automobile Trabant). C'est un relatif succès puisqu'en 1970, la RDA est la cinquième puissance économique en Europe. Une grande différence de niveau de vie sépare les deux Allemagnes. Bien qu'elle soit le pays d'Europe de l'Est le plus développé économiquement, la RDA ne peut concurrencer sa rivale. Le confort de vie, l'équipement des ménages sont bien meilleurs en RFA. Ce retard économique apparaît comme un échec. De plus, la population a conscience d'être privée des libertés offertes aux Allemands de l'Ouest. Elle fuit donc massivement vers Berlin-Ouest et l'Europe occidentale (3 millions de personnes traversent le rideau de fer à Berlin entre 1945 et 1961). Khrouchtchev décide alors la construction d'un mur dont les fondations sont érigées en une seule nuit d'août 1961. C'est une frontière infranchissable entre les deux parties de la ville, nombreux sont morts en tentant de passer de l'autre côté. Lors de sa visite en 1963, Kennedy voit dans ce mur, nécessaire pour endiguer l'hémorragie de départs, le symbole universel de l'échec du modèle soviétique.
Chacune des deux Allemagnes a donc été utilisée comme un symbole dans la lutte entre les deux blocs, entre deux modèles idéologiques. C'est pourquoi la coexistence pacifique tarde à s'y mettre en place. L'Ostpolitik (politique de l'Est) est mise en place par W. Brandt, le chancelier ouest-allemand. Il souhaite normaliser les relations avec la RDA, qu'il considère au même titre que la RFA comme une partie de la nation allemande. Il s'engage de la même façon avec les pays du bloc de l'Est où il effectue des visites, en Pologne notamment. Il signe avec la Pologne et l'URSS des traités de reconnaissance des frontières. Il se détache de la tutelle américaine en prenant de telles initiatives. Comme Khrouchtchev, s'il n'approuve pas l'idéologie adverse, il sait qu'il ne peut l'anéantir et préfère le dialogue. Il obtient pour son action le prix Nobel de la paix. En 1972, les deux Allemagnes se reconnaissent mutuellement, elles entrent à l'ONU l'année suivante. Avec la course aux armements initiée par la Président Reagan, les Américains souhaitent anéantir le régime soviétique à bout de souffle économiquement. M. Gorbatchev, premier secrétaire du PC soviétique choisit de se détacher du bloc en Europe de l'Est pour éviter l'effondrement de l'URSS. Dans son pays, il met en place une politique plus ouverte, la Perestroïka (restructuration) associée à la Glasnost (transparence) incite les sociétés de l'Est à demander plus de libertés pour elles aussi. À elle seule, la RDA ne peut empêcher les départs massifs vers l'Ouest. Les autorités annoncent le 9 novembre 1989 l'ouverture du mur de Berlin.
Le rideau de fer tombe définitivement à la fin de l'année 1989. La fin de la partition de l'Allemagne est donc extrêmement rapide alors qu'elle a perduré un demi-siècle. Le PC est-allemand organise des élections libres qui marquent son éviction. La réunification de l'Allemagne intervient en octobre 1990 avec le traité « 4+2 » signé entre les quatre puissances occupantes, la RFA et la RDA. Elle symbolise au cœur de l'histoire allemande la fin de la bipolarisation d'une large partie de la planète entre les deux blocs. Berlin redevient capitale d'un État unifié.

La défaite de l'Allemagne face aux armées américaine et soviétique en 1945 et sa situation en Europe médiane la plongent au cœur de l'affrontement qui débute dès la signature de la paix. L'Allemagne subit les aléas des relations entre les États-Unis et l'URSS. Elle constitue un enjeu crucial pour chacun des deux blocs : elle est dès 1948 le premier théâtre de leurs affrontements interposés, le premier pays coupé en deux camps, chacun devenant le symbole de leur lutte idéologique. L'émancipation de la tutelle américaine en RFA permet une certaine normalisation des relations, mais c'est bien la chute inéluctable de l'URSS qui permet la réunification en 1990 après quarante-cinq ans de partition. Aujourd'hui, la joie des retrouvailles passée, les deux populations mesurent les difficultés à s'unir et se comprendre tant l'imprégnation de deux modèles si contradictoires, de part et, d'autre a été forte.

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