Le totalitarisme est le système politique des régimes à parti unique, n'admettant aucune opposition organisée, dans lequel l'État tend à confisquer la totalité des activités de la société. Concept forgé au XXe siècle, durant l'entre-deux-guerres, le totalitarisme signifie étymologiquement « système tendant à la totalité, à l'unité ». L'expression totalitaire vient du fait qu'il ne s'agit pas seulement de contrôler l'activité des hommes, comme le ferait une dictature classique : un régime totalitaire tente de s'immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée, en imposant à tous les citoyens l'adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté. Les caractéristiques habituellement retenues pour caractériser le totalitarisme sont : une idéologie imposée à tous, un parti unique contrôlant l'appareil d'État, dirigé idéalement par un chef charismatique, un appareil policier recourant à la terreur, une direction centrale de l'économie, un monopole des moyens de communication de masse et un monopole de la force armée.
Les origines du concept :
Bien souvent, la genèse du concept de totalitarisme est attribuée à la philosophe Hannah Arendt, alors qu'elle a lieu bien avant, dans l'entre-deux-guerres. L'adjectif « totalitaire » apparut en Italie dès le mois de mai 1923 (on prête parfois son invention à Giovanni Amendola, opposant et victime du fascisme). Ce concept fut d'emblée un instrument de lutte politique. Son emploi se répandit de manière péjorative dans les milieux antifascistes italiens. En 1925, les théoriciens du fascisme reprirent de manière opportuniste le terme à leur compte, en lui attribuant une connotation positive, celle d'unité du peuple italien. Benito Mussolini exaltait sa « farouche volonté totalitaire », appelée à délivrer la société des oppositions et des conflits d'intérêts. Giovanni Gentile, théoricien du fascisme, mentionna le totalitarisme dans l'article « doctrine du fascisme » qu'il écrivit pour Enciclopedia Italiana et dans lequel il affirma que « ... pour le fasciste tout est dans l'État et rien d'humain et de spirituel n'existe et il a encore moins de valeur hors de l'État. En ce sens le fascisme est totalitaire... ».
Dans la seconde moitié des années 1920, l'ancien président du Conseil des ministres italien Francesco Saverio Nitti « aurait le premier établi des rapprochements entre la structure du fascisme italien et le bolchevisme ». L'écrivain allemand Ernst Jünger, par son exaltation de la « mobilisation totale », décrit les contours du totalitarisme. Il célèbre la guerre et la technique moderne comme annonciatrices d'un nouvel ordre, incarné par la figure de l'ouvrier-soldat, œuvrant au sein d'une société encadrée et disciplinée comme une armée. Selon lui, la Première Guerre mondiale avait marqué un tournant historique vers cette forme nouvelle de civilisation : pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, les forces humaines et matérielles du monde industriel moderne avaient été mobilisées dans leur « totalité » pour accomplir l'effort de guerre. La première utilisation du terme de totalitarisme pour désigner dans le même temps les États fasciste et communiste semble avoir été faite en Grande-Bretagne en 1929. Dans les années 1930, le concept fut utilisé sous la plume d'écrivains pro-nazis.
Carl Schmitt employait ce terme pour mettre en lumière la crise du libéralisme et du parlementarisme et exprimer la nécessité d'une politique plus autoritaire. Simone Weil écrivait en 1934 : « il apparaît assez clairement que l'humanité contemporaine tend un peu partout à une forme totalitaire d'organisation sociale, pour employer le terme que les nationaux-socialistes ont mis à la mode, c'est-à-dire à un régime où le pouvoir d'État déciderait souverainement dans tous les domaines, même et surtout dans le domaine de la pensée. » Le régime autoritaire franquiste issu de la guerre civile espagnole s’est défini comme totalitaire dans ses premières années, affirmant ainsi sa parenté avec le fascisme, avant d'effacer ce terme de la constitution. Il en est de même du régime impérial japonais lors de la première partie de l'ère Shōwa, à compter de la constitution de l'Association de Soutien à l'Autorité Impériale. En 1940, dans une entrevue accordée au New York Herald, le ministre des Affaires étrangères du cabinet de Fumimaro Konoe, Yōsuke Matsuoka, n'hésitait pas à faire l'apologie du totalitarisme, prédisant sa « victoire sans équivoque dans le monde » et « la banqueroute du système démocratique ». Dans le monde anglo-saxon, William Henry Chamberlin et Michael Florinsky ont été parmi les premiers à faire usage du concept de totalitarisme. Divers théoriciens de gauche, comme Franz Borkenau ou Richard Löwenthal, ont employé le concept « pour caractériser tout ce qui leur paraît nouveau et spécifique dans le fascisme (ou le nazisme), en dehors de toute comparaison avec le communisme soviétique ».
Le concept de totalitarisme cristallisait également la réflexion sur les formes modernes de tyrannie et, plus particulièrement, sur la violence exercée sur autrui, qui semblait inséparable du fonctionnement des régimes nazi et communiste. Finalement, les traits fondamentaux qui ont dominé la discussion de l'après-guerre sur le totalitarisme étaient déjà présents dans les années 1930. Pierre Hassner affirme : « On peut dire qu'en un sens Hannah Arendt n'a fait que nouer en une synthèse géniale [...] les différents éléments en dégageant la logique qui les sous-tendait. » Le pacte germano-soviétique, signé en 1939 entre l'Allemagne nazie et l'URSS, fut présenté par certains comme une illustration de l'apparition d'un nouveau type de régime (l'antithèse du libéralisme) qui ferait le lien entre les idéologies fasciste et soviétique. Par exemple, dans The Totalitarian Enemy, paru à Londres en 1940, l'ancien communiste autrichien Franz Borkenau voulait éclairer l'opinion publique sur les vrais enjeux de la guerre : il s'agissait de détruire le totalitarisme incarné dans le nazisme et le bolchevisme. Les différences entre ces deux courants étaient minimes pour l'auteur : le bolchevisme se limitait à un « fascisme rouge » et le nazisme à un « bolchevisme brun ». D'après Borkenau, la dynamique inhérente au marché capitaliste conduisait inévitablement à une centralisation et une planification de l'économie : la révolution totalitaire n'était rien d'autre que la révolution socialiste prophétisée par Karl Marx. Mais cette sous-estimation des différences entre le bolchevisme et le nazisme « ne diminue pas, selon Krzysztof Pomian, l'importance historique de Totalitarian Enemy. Y sont évoqués, en effet, presque tous les thèmes repris plus tard par l'abondante littérature consacrée au totalitarisme. »
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