Dans les années 1950, le concept de totalitarisme a été perfectionné en un « modèle » par des politologues soucieux d’aboutir à une catégorisation des régimes politiques. Le modèle du totalitarisme a été formé par opposition à d’autres modèles, comme les modèles des régimes « démocratiques-constitutionnels » et « autoritaires-conservateurs ».
Sous le titre de Permanent Revolution, Sigmund Neumann a publié une étude sur le totalitarisme en 1940. Il insistait sur le fait que l'État totalitaire menait une « révolution permanente », tandis que les autoritarismes traditionnels avaient généralement été conservateurs. Selon Neumann, le caractère principal des régimes totalitaires était d'institutionnaliser la révolution, ce qui leur permettait d'assurer leur propre perpétuation.
Mais lorsque les historiens s'emparent du concept, c'est beaucoup plus selon la définition fixée, à l'origine, par le politologue Carl Friedrich, qui a permis au concept de totalitarisme d'acquérir sa pleine légitimité dans le domaine des sciences sociales. L'ouvrage écrit par Friedrich et son jeune collaborateur de l'université Harvard Zbigniew Brzezinski est, selon Enzo Traverso, « le livre qui a le plus polarisé le débat pendant les années cinquante et soixante ». Leur analyse du totalitarisme a représenté pendant longtemps le traitement théorique qui a fait le plus autorité. Les deux auteurs présentaient un « syndrome » du totalitarisme comportant cinq caractéristiques fondamentales :
-un parti unique contrôlant l'appareil d'État et dirigé par un chef charismatique
-une idéologie d'État promettant l'accomplissement de l'humanité
-un appareil policier recourant à la terreur
-une direction centrale de l'économie
-un monopole des moyens de communication de masse.
Dans cette vision, les dictatures totalitaires, en tant que forme nouvelle et extrêmement moderne d'autoritarisme, étaient la forme achevée du despotisme. De plus, les sociétés totalitaires étaient présentées comme fondamentalement semblables entre elles.
On peut y ajouter comme autres aspects pratiques, la prise en main totale de l'éducation pour la baser sur l'idéologie et la mise en place d'un réseau omniprésent de surveillance de l'individu. Une prépondérance était accordée au facteur technique : c’est la technologie moderne qui rendait le pouvoir politique capable d’avoir une emprise totale sur les populations. L’État totalitaire consistait en une énorme bureaucratie, laquelle faisait preuve d’une efficacité sans failles. Une des caractéristiques du totalitarisme était qu’il enrégimentait physiquement et mentalement la population. L’idéologie constituait un instrument de gouvernement sans pareil, par l'endoctrinement des populations. La propagande avait l’effet d’un lavage de cerveau, permettant d’obtenir l’assentiment du peuple. Selon Claude Polin, les idéologies totalitaires permettaient « de mettre les esprits même en esclavage, et de tarir toute révolte à sa source vive, en ôtant jusqu’à son intention même ». Les politologues de cette période tiraient des conclusions très pessimistes à propos du futur. Selon eux, il était improbable que la dictature totalitaire, compte tenu de sa dynamique interne, s’effondre d’elle-même ou soit renversée par une révolution. Il y avait aussi d’énormes obstacles à la libéralisation du régime, étant donné la loi arbitraire et l’absence d’initiative démocratique. Les structures du totalitarisme le rendaient incapable d’évoluer, mais pas incapable de se reproduire. Cet État tout-puissant tâchait même d’étendre son emprise sur l’ensemble du monde. Les projets totalitaires de révolution mondiale semblaient seulement pouvoir être contrecarrés par une intervention militaire extérieure, comme cela s’était passé face au nazisme. Dans son premier livre traitant du totalitarisme soviétique, Brzezinski mettait l’accent sur la mobilisation totale des ressources par l’État, sur l’anéantissement de toute opposition et sur la terreur générale. La purge, perçue comme le noyau du totalitarisme, « satisfait les besoins du système en dynamisme et en énergie continuels ». Dans cet ouvrage, Brzezinski prévoyait la constante aggravation du totalitarisme. Les mouvements totalitaires étaient particulièrement redoutables car « leur dessein est d’institutionnaliser une révolution qui progresse en étendue, et souvent en intensité, à mesure que le régime se stabilise au pouvoir. L’objectif de cette révolution est de pulvériser toutes les unités sociales existantes afin de remplacer l’ancien pluralisme par une unanimité homogène ». La destruction de la société ancienne, par l’application croissante de mesures de coercition, était menée afin de reconstruire cette société et l’homme lui-même en fonction de certaines conceptions « idéales » définies par l’idéologie. « La terreur devient donc une conséquence inévitable, ainsi qu’un instrument, du programme révolutionnaire. » Dans son analyse du totalitarisme soviétique, Brzezinski accordait un grand poids à l’idéologie révolutionnaire qui, une fois prise en main par un parti unique bureaucratisé, engendrait un impact social total. Le politologue reconnaît que « le système politique de Khrouchtchev n’est pas le même que celui de Staline, bien que les deux puissent être généralement décrits comme totalitaires. » Sous Khrouchtchev, la terreur a laissé place à une politique d’endoctrinement qui est devenue la principale caractéristique du système. Mais quand le dynamisme et le zèle révolutionnaires décroissent, « le système est renforcé par des réseaux de contrôle complexe qui imprègnent toute la société et mobilisent ses énergies à travers une pénétration très fine. » Betty Brand Burch a résumé ainsi la définition classique du totalitarisme : « le totalitarisme est une forme extrême de dictature qui est caractérisée par le pouvoir illimité et démesuré des dirigeants, la suppression de toutes formes d’opposition autonome, et l’atomisation de la société d’une façon telle que quasiment chaque phase de la vie devient publique et donc sujette au contrôle de l’État. »
D'après la définition de Raymond Aron, le totalitarisme qualifie les systèmes politiques dans lesquels s'accomplit « l'absorption de la société civile dans l'État » et « la transfiguration de l'idéologie de l'État en dogme imposé aux intellectuels et aux universités ». L'État, relayé par le parti unique, exercerait en ce sens un contrôle total sur la société, la culture, les sciences, la morale jusqu'aux individus mêmes auxquels il n'est reconnu aucune liberté propre d'expression ou de conscience.
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