dimanche 12 février 2012

Totalitarisme : des définitions diverses


Selon Hannah Arendt :

La philosophe Hannah Arendt a apporté une définition du concept de totalitarisme dans son livre Les Origines du totalitarisme (1951). Selon elle, deux pays seulement avaient alors connu un véritable totalitarisme : l'Allemagne sous le nazisme et l'URSS sous Staline. Elle distingue toutefois des tendances ou des épisodes totalitaires en dehors de ces deux cas. Elle cite notamment le maccarthisme au début des années 1950 aux États-Unis ou encore les camps de concentration français où furent enfermés les réfugiés de la guerre d'Espagne.
Ces régimes n'admettent qu'un parti unique qui contrôle l'État, qui lui-même s'efforce de contrôler la société et plus généralement tous les individus dans tous les aspects de leur vie (domination totale). D'un point de vue totalitaire, cette vision est erronée : il n'y a qu'un parti parce qu'il n'y a qu'un tout, qu'un seul pays, vouloir un autre parti c'est déjà de la trahison ou de la maladie mentale (schizophrénie : se croire plusieurs alors qu'on est un). Le totalitarisme tel qu'il est ainsi décrit par Hannah Arendt n'est pas tant un « régime » politique qu'une « dynamique » autodestructive reposant sur une dissolution des structures sociales.

Dans cette optique, les fondements des structures sociales ont été volontairement sabotés ou détruits : les camps pour la jeunesse ont par exemple contribué à saboter l'institution familiale en instillant la peur de la délation à l'intérieur même des foyers, la religion est interdite et remplacée par de nouveaux mythes inventés de toute pièce ou recomposés à partir de mythes plus anciens, la culture est également une cible privilégiée. Hanns Johst avait ainsi écrit dans une pièce de théâtre : « Quand j'entends le mot culture, j'enlève le cran de sureté de mon Browning. » (Cette phrase a également été prononcée en public par Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes).

L'identité sociale des individus laisse place au sentiment d'appartenance à une masse informe, sans valeur aux yeux du pouvoir, ni même à ses propres yeux. La dévotion au chef et à la nation devient la seule raison d'être d'une existence qui déborde au-delà de la forme individuelle pour un résultat allant du fanatisme psychotique à la neurasthénie. La domination totale est réalisée : les « ennemis objectifs » font leur autocritique pendant leurs procès et admettent la sentence. Les agents du NKVD russe arrêtés avaient ainsi un raisonnement du type « si le Parti m'a arrêté et désire de moi une confession, c'est qu'il a de bonnes raisons de le faire ». Arendt remarque en outre qu'aucun agent arrêté n'a jamais tenté de dévoiler un quelconque secret d'État, et est toujours resté fidèle au pouvoir en place, même lorsque sa mort était assurée. Les sociétés totalitaires se distinguent par la promesse d'un « paradis », la fin de l'histoire ou la pureté de la race par exemple, et fédèrent la masse contre un ennemi objectif. Celui-ci est autant extérieur qu'intérieur et sera susceptible de changer, suivant l'interprétation des lois de l'Histoire (lutte des classes) ou de la Nature (lutte des races) à l'instant « t ». Les sociétés totalitaires créent un mouvement perpétuel et paranoïaque de surveillance, de délation et de retournement. Les polices et les unités spéciales se multiplient et se concurrencent dans la plus grande confusion. Contrairement aux dictatures traditionnelles (militaires ou autres), le totalitarisme n'utilise pas la terreur dans le but d'écraser l'opposition. La terreur totalitaire ne commence réellement que lorsque toute opposition est écrasée. Même si le groupe considéré comme un ennemi a été anéanti (par exemple les trotskistes en URSS), le pouvoir en désignera continuellement un autre. Hitler et les nazis avaient ainsi prévu l'extermination des peuples ukrainiens, polonais et russes une fois les Juifs éliminés. Des purges régulières ordonnées par le chef de l'État, seul point fixe, donnent le tempo d'une société qui élimine par millions sa propre population, se nourrissant en quelque sorte de sa propre chair. Ce programme est appliqué jusqu'à l'absurde, les trains de déportés vers les camps de concentration et d'extermination de l'Allemagne nazie restèrent toujours prioritaires sur les trains de ravitaillement du front alors même que l'armée allemande perdait la guerre. Les régimes totalitaires se distinguent des régimes autoritaires et dictatoriaux par leur usage permanent de la terreur, contre l'ensemble de la population (y compris les « innocents » aux yeux même de l'idéologie en vigueur) et non contre les opposants réels. L'usage permanent de la terreur a pour corollaire celui de la propagande, omniprésente dans un État totalitaire. Par ailleurs, le totalitarisme n'obéit à aucun principe d'utilité : les structures administratives sont démultipliées sans se superposer, les divisions du territoire sont multiples et ne se recoupent pas. La bureaucratie est consubstantielle du totalitarisme. Tout cela a pour but de supprimer toute hiérarchie entre le chef et les masses, et garantir la domination totale, sans aucun obstacle la relativisant. Le chef commande directement et sans médiation tout fonctionnaire du régime, en tout point du territoire. Le totalitarisme est à différencier de l'absolutisme (le chef tient sa légitimité des masses et non d'un concept extérieur comme Dieu) et de l'autoritarisme (aucune hiérarchie intermédiaire ne vient théoriquement « relativiser » l'autorité du chef totalitaire).
Dans son introduction d’une nouvelle édition de The Origins of Totalitarianism, en 1966, Hannah Arendt s’est opposée à l’usage idéologique du terme de totalitarisme concernant tous les régimes communistes à parti unique. Elle considérait que son interprétation ne s’appliquait pas plus aux successeurs de Staline qu’à son prédécesseur. Michelle-Irène Brudny considère que la pensée de Hannah Arendt comporte des exagérations, dans sa prétention de tout englober : « le philosophe, parfois intrépide ou, plus sûrement, devenu téméraire par sa volonté obsessive de comprendre, se sent tenu, au risque du paradoxe, de produire une interprétation "générale". » L’ouvrage d'Arendt a néanmoins convaincu la majorité de l’opinion et reçu de nombreux éloges.

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