lundi 13 février 2012

Hitler, la jeunesse (suite)

En 1914, exalté par l’entrée en guerre de l’Allemagne, Hitler s’engage comme volontaire. Il se bat sur le front ouest dans le 16e régiment d’infanterie bavarois. Soldat enthousiaste, il est apprécié de ses pairs et supérieurs, qui lui refusent toutefois un avancement, jugeant qu’il ne possède pas les qualités d’un chef. Il remplit pendant presque toute la durée de la guerre la mission d’estafette entre les officiers. Fin septembre 1916, sa division part pour la bataille de la Somme. Hitler est blessé une première fois à la cuisse, le 7 octobre. Il rentre se faire soigner en Allemagne, à l’hôpital de Beelitz, près de Berlin. Après une affectation à Munich, il revient sur le front des Flandres. Dans la nuit du 13 au 14 octobre 1918, sur une colline au sud de Wervicq, près d’Ypres (Belgique), son unité subit un bombardement britannique au gaz moutarde. Touché aux yeux, il est évacué vers l’hôpital de Pasewalk, en Poméranie. Hitler est décoré de la Croix de fer 1re classe (distinction rarement accordée à un soldat engagé mais facilement octroyée à une estafette, du fait de ses contacts avec les officiers) pour avoir accompli le dangereux transport d’une dépêche. Ironie de l'Histoire, cette décoration lui est remise sur recommandation d’un officier juif. Alors que l’Allemagne est sur le point de capituler, la révolution gagne Berlin et la Kaiserliche Marine se mutine. Le Kaiser Guillaume II abdique et part pour les Pays-Bas avec sa famille. Le socialiste Philipp Scheidemann proclame la République. Deux jours plus tard, le nouveau pouvoir signe l’armistice de 1918. De son lit d’hôpital, Hitler est anéanti par cette annonce. Il affirme dans Mein Kampf y avoir eu une vision patriotique, et d'avoir sur le coup « décidé de faire de la politique ». Toute sa vie, Hitler adhéra au mythe du « coup de poignard dans le dos », diffusé par la caste militaire, selon lequel l'Allemagne n'aurait pas été vaincue militairement, mais trahie de l'intérieur par les Juifs, les forces de gauche, les républicains. Jusqu'à ses derniers jours, le futur maître du Troisième Reich resta obsédé par la destruction totale de l'ennemi intérieur. Il voulait à la fois châtier les « criminels de novembre », effacer novembre 1918, et ne jamais voir se reproduire cet évènement traumatique, à l'origine de son engagement en politique.
Bien qu'Hitler ait écrit dans Mein Kampf avoir décidé de s'engager en politique dès l'annonce de l'armistice de 1918, il s'agit là surtout d'une reconstruction rétrospective. Comme le note Ian Kershaw, Hitler s'abstient encore de s'engager dans les premiers mois de 1919, ne songeant nullement par exemple à rejoindre les nombreux Corps francs — des unités paramilitaires formées par les anciens combattants d'extrême droite pour écraser les insurrections communistes en Allemagne puis la jeune République de Weimar elle-même. Sous l'éphémère République des conseils de Munich, il est resté discret et passif, et a probablement fait extérieurement allégeance au régime.

 

Depuis le 9 novembre 1918, la Bavière est en effet entre les mains d’un gouvernement révolutionnaire, la Räterepublik ou « République des conseils », proclamée par le socialiste Kurt Eisner et virant de plus en plus à gauche après l'assassinat de ce dernier début 1919. La propre caserne d’Hitler est dirigée par un conseil. Dégoûté, Hitler quitte Munich pour Traunstein. Cependant, en 1919, alors que le pouvoir est hésitant entre communistes du KPD et sociaux-démocrates du SPD, il se fait élire délégué de sa caserne, une première fois lorsque le pouvoir en Bavière est aux mains du SPD, puis une seconde fois en tant que délégué adjoint sous l’éphémère régime communiste (avril-mai 1919), juste avant la prise de Munich par les troupes fédérales et les Corps francs. Il n'a pas cherché à combattre ces régimes, sans pour autant avoir adhéré à aucun de ces partis, et il est probable que les soldats connaissaient ses opinions politiques nationalistes. Hitler reste théoriquement dans l’armée jusqu’au 31 mars 1921. En juin 1919, alors que la répression de la révolution fait rage en Bavière, son supérieur, le capitaine Karl Mayr, le charge de faire de la propagande anticommuniste auprès de ses camarades. C'est au cours de ses conférences parmi les soldats qu'Hitler découvre ses talents d'orateur et de propagandiste, et que pour la première fois, un public se montre spontanément séduit par son charisme. C'est aussi de cette époque que date le premier écrit antisémite d'Hitler, une lettre qu'il a adressée, le 16 septembre 1919, à un certain Adolf Gemlich, sur l'initiative de son supérieur, le capitaine Karl Mayr. Après une virulente attaque antisémite, dans laquelle il qualifie l'action des Juifs de « tuberculose raciale des peuples », il y oppose « antisémitisme instinctif » et « antisémitisme raisonné » : « L'antisémitisme instinctif s'exprimera en dernier ressort par des pogroms. L'antisémitisme raisonné, par contre, doit conduire à une lutte méthodique sur le plan légal et à l'élimination des privilèges du Juif. Son objectif final doit être cependant, en tout état de cause, leur bannissement ». Pour Ernst Nolte, cette lettre est aussi le témoin de l'antibolchévisme naissant d'Hitler et de l'association qu'il fait entre juifs et révolution : Hitler termine en effet sa lettre avec une remarque selon laquelle les juifs « sont en effet les forces motrices de la révolution ».

Début septembre 1919, Hitler est chargé de surveiller un groupuscule politique ultra-nationaliste, le Parti ouvrier allemand, fondé moins d'un an plus tôt par Anton Drexler. À la fin d'une réunion dans une brasserie de Munich, il prend la parole à l'improviste pour fustiger la proposition d'un intervenant, favorable à une sécession de la Bavière. Remarqué par Drexler, il adhère au DAP aussi sur ordre de ses supérieurs; son numéro d'adhérent, le 555, est le reflet de la tradition, dans les partis politiques marginaux, qui font débuter leur listes d'adhésions au numéro 501. En février 1920, orateur principal du DAP, il transforme le parti en Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), pour aligner le parti sur des partis semblables en Autriche ou dans les Sudètes. Son charisme et ses capacités d'orateur en font un personnage prisé des réunions publiques des extrémistes de brasserie. Ses thèmes favoris — antisémitisme, antibolchevisme, nationalisme — trouvent un auditoire réceptif. En effet, il emploie un langage simple utilise des formules percutantes et utilise abondamment les possibilités de sa voix. Mobilisant par ses discours, à la fois par les idées que par la gestuelle, de plus en plus de partisans, il se rend indispensable au mouvement pour en exiger la présidence, que le groupe dirigeant initial lui abandonne dès avril 1921 après un ultimatum de sa part. Du fait de ses talents d’agitateur politique, le parti gagne rapidement en popularité, tout en restant très minoritaire. Hitler dote son mouvement d'un journal, le Völkischer Beobachter, lui choisit le drapeau à croix gammée pour emblème, fait adopter un programme en 25 points (en 1920) et le dote d'une milice agressive, les Sturmabteilung (SA). Il change également de style vestimentaire, s'habilla constamment de noir ou en tenue militaire, c'est à cette époque également qu'il se coupe la moustache, qui devient un de ses traits physiques célèbres. Au départ, Hitler se présente comme un simple « tambour » chargé d'ouvrir la voie à un futur sauveur de l'Allemagne encore inconnu. Mais le culte spontanément apparu autour de sa personnalité charismatique dans les rangs des SA et des militants le fait vite se convaincre qu'il est lui-même ce sauveur providentiel. À partir de 1921-1922, la conviction intime qu'il est désigné par le destin pour régénérer et purifier l'Allemagne vaincue ne le quitte plus. Son narcissisme et sa mégalomanie ne font en conséquence que s'accentuer, comme sa prédominance absolue au sein du mouvement nazi. C’est ce qui le différencie d'un Mussolini, au départ simple primus inter pares d'une direction collective fasciste, ou d'un Staline, qui ne croit pas lui-même à son propre culte, fabriqué tardivement pour mieux asseoir sa victoire sur Trotski et sur la vieille garde bolchevique. Inspiré par la lecture du psychologue Gustave Le Bon, Hitler met au point une propagande violente mais efficace.
« L'idée centrale de Hitler est simple : lorsqu'on s'adresse aux masses, point n'est besoin d'argumenter, il suffit de séduire et de frapper. Les discours passionnés, le refus de toute discussion, la répétition de quelques thèmes assénés à satiété constituent l'essentiel de son arsenal propagandiste, comme le recours aux effets théâtraux, aux affiches criantes, à un expressionnisme outrancier, aux gestes symboliques dont le premier est l'emploi de la force. Ainsi, quand les SA brutalisent leurs adversaires politiques, ce n'est pas sous l'effet de passions déchaînées, mais en application des directives permanentes qui leur sont données. »

— Henri Burgelin, « Les succès de la propagande nazie », in L'Allemagne de Hitler, p. 124.

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